Contexte historique
L’un des grands avantages de ces marais pour les premiers colons était qu’ils étaient une source toute trouvée de fourrage pour le bétail. Les colons ont commencé presque immédiatement à défricher les terres et à cultiver du foin, mais les foins récoltés dans les marais permettaient de s’assurer que le bétail ne mourrait pas de faim en attendant la récolte des premiers foins cultivés. Même si ces colons disposaient de grands marais naturels dans le comté de Yarmouth, ils se sont souvent servis de digues pour agrandir leur superficie. Ils ont mis au point des méthodes permettant de récolter le foin et de le conserver pour les mois d’hiver. Pour cela, ils stockaient le foin sur place dans les marais, dans des structures surélevées qui permettaient de protéger le foin de l’eau quand les marais étaient inondés. Il s’agissait peut-être d’anciennes méthodes de récolte et on les utilisait probablement en Europe bien avant leur introduction dans le Nouveau Monde.
Les fermiers de la région avaient plusieurs raisons de continuer pendant aussi longtemps d’employer ces vieilles méthodes. Même s’il était possible pour les hommes de travailler dans les marais, le sol mou faisait qu’il était impossible d’utiliser les chariots et les charrettes pendant une bonne partie de l’année, parce que leurs roues s’enfonçaient dans la terre et s’enlisaient. Avec le foin empilé sur les plates-formes surélevées, les fermiers pouvaient attendre que le temps froid gèle les marais et permette de transporter le foin jusqu’à la ferme. Cette méthode de stockage du foin permettait également de gagner de la place dans les granges pour le foin cultivé, qui était plus nourrissant. Les fermiers mélangeaient souvent le foin des marais salants à du foin cultivé pour le faire durer plus longtemps, souvent pour le repas de midi du bétail. Il était également possible de nourrir le bétail exclusivement de foin récolté dans les marais salants pendant certaines périodes.
Fabrication du chafaud
Le terme acadien utilisé pour une meule de foin était « barge ». La structure en bois sur laquelle on entreposait le foin s’appelait « staddle » pour les anglophones. Les Acadiens appelaient cette même structure un « chafaud » (version altérée d’« échafaud ») ou « carré ». Ce dernier terme servait probablement à distinguer ce type de meule des meules construites en forme ronde ou circulaire.
Une fois terminées, les meules de foin avaient une forme bien particulière et étaient conçues de façon à ce que l’eau de pluie s’écoule sans pénétrer dans le foin. On laissait ces meules exposées aux éléments dans les marais. Il fallait récolter le foin entre les marées et le chafaud permettait de garder le foin à un endroit surélevé, au-dessus du marais et à l’abri de l’eau quand la marée était haute.
Fabrication de la meule
Dans les marais salants de lieux comme Pubnico, la personne qui récoltait le foin devait aussi tenir compte des marées. Il fallait couper le foin et fabriquer les meules entre les marées hautes. Le meilleur moment de la journée pour couper le foin était le matin. La rosée avait un effet lubrifiant sur le foin, qui le rendait plus facile à couper à la faux. Dans les marais, le foin était toujours coupé à la main avec une faux. Lorsqu’un ouvrier était habile avec sa faux, il pouvait couper jusqu’à quatre tonnes de foin par jour. Cela faisait assez de foin pour construire environ quatre meules.
Une fois que le foin était coupé, on le fanait avec une fourche et on le laissait sécher pendant une journée ou deux, avant de le ratisser. On le ratissait en longues rangées appelées « windrows » par les anglophones et « grands rouleaux » par les fermiers acadiens. Ce ratissage se faisait de manière très méthodique, généralement par groupes de trois personnes. On roulait ensuite le foin pour former de grosses bottes de foin, appelées « haycocks » par les anglophones et « mulronds » par les Acadiens. Il fallait entre 30 et 40 de ces bottes pour faire une meule de foin. Certains fermiers étaient très méticuleux et s’assuraient que chaque botte avait exactement la même taille et contenait la même quantité de foin. Dans l’idéal, on faisait les bottes le jour avant de faire la meule elle-même, parce que cela permettait au foin de se tasser un peu et que cela le rendait plus facile à transporter et à manipuler.
La fabrication d’une meule prenait environ une heure et demie. Quand la meule était presque terminée, la personne au sol avait une autre tâche, qui était de ratisser ou de dégrossir constamment la meule à la base pour éliminer le foin qui s’échappait. Ce foin était ensuite lui-même ratissé et hissé à nouveau sur la meule. Le processus était lent et fastidieux, mais il permettait d’éviter presque tout gaspillage. Une fois que la meule était enfin prête, on plaçait deux poids sur le dessus. Ces poids consistaient en deux morceaux de bois attachés aux extrémités d’une corde, qui pendaient des deux côtés de la meule.